Le Bureau de la Gardienne

Le bureau d'Elena ressemble beaucoup à une salle de classe : un grand bureau sur une estrade, et trois rangées de pupitres dans la longueur de la salle.

La décoration est très épurée : à peine quelques tableaux aux murs.

Ce soir-là, la Gardienne attend un élève. Elle ne sait pas encore ce qu'elle va bien pouvoir lui faire faire, mais elle a fixé le rendez-vous pour vingt heures. Pierre a grand intérêt à arriver à l'heure, car le retard l'horripile au plus haut point.

Et Pierre, qui n'avait pas de montre, arriva en avance.
Le destin avait abandonné cette occasion de lui attirer des embrouilles.
Il frappa à la porte, un vieux réflexe très loin dans sa mémoire, et commença à se dandiner d’un pied sur l’autre.

Quelle punition horrible cette affreuse dame avait-elle pu lui concocter ? OK, elle était loin d’être affreuse, elle était même plutôt jolie… Mais Pierre avait cru capter quelque chose de dur dans son regard, lors de leur…rencontre dans la volière. Comme un éclair furtif… Une lueur métallique.
Il avait déjà vu la haine dans un regard, ou la colère, mais il ne lui semblait pas avoir rencontré quelque chose du genre mêlé à de l’intelligence.
A bien y réfléchir, si. Le jour où Piotr et lui s’étaient séparés dans le bureau du directeur des Petits Ecureuils…

Et oui, chaque évènement, chaque action, la moindre parole étaient ainsi disséquées par Pierre en un temps record. Jusqu’à ce qu’il trouve des réponses à ses questions… Ou les invente.

Elena leva le nez d'un de ses livres, et ouvrit la porte à distance. C'était Pierre, en avance, visiblement.

"Nous avions dit vingt heures... Mais comme tu es arrivée en avance, tu pourras repartir en avance. Tu as bien fait, finalement. Entre donc."

La gardienne observa la jeune garçon. Il faudrait qu'elle se renseigne un peu plus sur ce Pierre de Sveg et sur son histoire. L'un des deux directeurs pourrait sûrement lui donner satisfaction.

"Tu es ici pour deux heures. Du moins, si tu finis ton travail à temps. Ces trophées..."

Elle les fit apparaître sur les pupitres de la salle.

"... ont perdu de leur éclat aux cours de toutes ces années... Et comme les elfes ont d'autres chats à fouetter, tu vas t'y coller. Tu as tout ce qu'il te faut sur cette table. Evidemment, le tout sans baguette magique."

Elle se demanda alors si le garçon s'était rendu compte que lors de leur 'entrevue' à la volière, il ne lui avait jamais donné son nom.

Pierre haussa presque imperceptiblement les épaules. Il n’avait rien de prévu après son passage dans le bureau de la gardienne, et donc s’en fichait bien de finir en avance.
En fin de compte, il n’était même pas en colère d’avoir écopé de ce travail forcé.
Franchement, il avait vu pire que deux heures à faire la boniche… Et cette façon d’utiliser la magie à tort et à travers (en l’occurrence pour faire apparaître des espèces de coupes poussiéreuses) l’impressionnait toujours autant.

Il jeta un regard furtif à Elena et baissa à nouveau les yeux, en direction du pupitre le plus proche du bureau.
OK. Il fallait s’y mettre, maintenant. Après avoir attrapé un chiffon et une bouteille nommée "nettoyant argentique", il s’attaqua à une grosse sphère grise.
Pierre était un garçon appliqué. Il n’était pas très habile, mais quand il faisait quelque chose, il le faisait presque toujours de son mieux…
Si bien qu’une vingtaine de minutes plus tard, quand il eut chassé les araignées, échangé son chiffon pour un plumeau, repris le chiffon et briqué le souaffle, le trophée rutilait littéralement.

Il alla jusqu’à nettoyer la gravure jaune avec le "lustreur à Or", et ce faisant, s’autorisa à regarder en direction de la gardienne. Elle avait un livre dans les mains ; Pierre tenta de déchiffrer le titre…

*R… non, B… Bou…Bov…*

C'était écit en tout petit. Il en oublia de manier le pinceau.

Elena lisait l'ouvrage de Vladimir Boukovsky, sorte de pamphlet à l'encontre du gouvernement russe de l'après Seconde Guerre Mondiale. Ses yeux commençant à fatiguer, elle referma le livre, et se rendit compte que Pierre la regardait.

"Mon garçon, tu ferais mieux de reprendre ton travail. Une seule coupe en vingt minutes? Certes, c'est du bon travail, mais à ce rythme là tu en as encore pour des heures. Affole-toi donc un peu."

Si le garçon n'avait pas fini avant vingt-trois heures, elle se verrait dans l'obligation de le renvoyer pour le faire revenir un autre soir.

Pierre se rengorgea et rosit légèrement sous le compliment. En plus, elle l'avait appelé "mon garçon", et nulle trace d'ironie dans ses paroles.
Il se décida donc enfin à ouvrir la bouche:

"Oui madame Embarassed

."

Il admira son travail, la gravure brillait comme un bijou :

Svetlana Troïski, poursuiveur ayant marqué 230 points en un seul match
Quidditch 2008

Pierre attrapa distraitement une autre coupe en essayant de comprendre ce qu’il voyait.
Quidditch ? Poursuiveur ? Ce truc n’était ni un ballon de foot, ni un ballon de basket. Peut-être une balle de tennis géante ? Mais 230 points quand même ! Il n’avait jamais suivi un match de tennis en entier, mais il n’avait jamais entendu parler d’un tel score.

Titillé par la question, Pierre nettoya deux autres coupes en une demi heure. Il commençait sérieusement à s’ennuyer, et finit par se décider à demander, rompant le silence :

"Qu’est-ce que "Quidditch" ?"

Elena haussa légèrement les sourcils. Pierre lui avait adressé un "Oui madame" tout en rougissant. Il n'était peut-être pas aussi terrible qu'elle ne l'avait imaginé. Puis il reprit son travail. Si cette séance de nettoyage était ennuyeuse pour le jeune Loviatar, elle ne l'était pas moins pour la Gardienne. Aussi fut-elle presque soulagée lorsqu'il posa une question.

"Le Quidditch est le sport préféré des sorciers. Deux équipes de sept joueurs s'affrontent sur des balais volants à l'aide de quatre balles. Mais je n'ai jamais été une grande admiratrice de ce jeu quelque peu... brutal. Tu trouveras tout ce qu'il te faut savoir dessus à la bibliothèque."

Elle se rendit alors compte que le garçon en savait bien peu sur le monde sorcier, et qu'il n'avait probablement pas fait exprès de la menacer, dans le parc. Néanmoins, Elena garda cette remarque pour elle ; elle n'était pas vraiment une femme à reconnaître ses torts.

Pierre hocha la tête tout en reposant une imposante médaille cuivrée, et répéta pensivement:

Des balais volants...

Dix minutes plus tard, il demanda à nouveau:

Il y a des balais volants ici ? Et des Pousuiveurs de Quidditch ?

Cela faisait maintenant une heure qu'il était là, et il n'avait nettoyé que quatre coupes.
Il en restait encore au moins cinq fois autant !
En s'en rendant compte, Pierre ne put s'empêcher d'être découragé, et il s'assit en soupirant, sans cesser d'astiquer une coupe dont la gravure disparaissant sous la crasse.
Il était tout de même resté debout pendant soixante minutes, par peur de voir augmenter sa peine, mais ça commençait à être long !

Décidément, le garçon était drôlement bavard... Ce qui n'était pas vraiment pour plaire à Elena, mais après tout, n'était-ce pas elle qui avait ouvert la conversation?

"Il y a des balais, oui, mais pas de joueurs de Quidditch. Le climat ne permet pas vraiment d'organiser des matches, ici..."

Elle regarda les coupes sur la table, et en fit disparaître une grande partie.

"Finis d'astiquer ce qu'il reste, et tu seras libre... jusqu'à la semaine prochaine."

Pierre fut si soulagé qu’il se mit au travail de plus belle, avec un air appliqué qui ne collait pas du tout avec sa personnalité. Cela dit, comment ne pas faire de son mieux quand on a l’étrange impression que la peine est trop légère pour ne pas cacher autre chose ?

Une demi-heure plus tard, le garçon avait fini. Il attendit presque sagement que la gardienne lui donne la permission de sortir… Presque, car la poche de son pantalon était un poil plus lourde maintenant que dix minutes plus tôt : une petite médaille ronde allait peut-être rejoindre son trésor de guerre.

Quitte à revenir dans une semaine, autant qu'il y ait une petite contrepartie...

Elena, qui avait repris sa lecture, leva la tête vers le garçon.

"Tu as fini? ... Qu'est-ce qu'il se passe?!"

Pierre avait un drôle d'air sur le visage. Presque imperceptible, mais tout de même là. Néanmoins, la gardienne ne parvenait pas à voir de quoi il s'agissait. Se pouvait-il que ce soit simplement la satisfaction du travail bien fait? Non, certainement pas! Son regard balaya la salle, mais elle ne vit rien qui puisse l'aider à comprendre. Elle attendit donc la réponse du 1ère année.

Il n'hésita pas une seconde:

Oui, j'ai fini.

Elle le scrutait. Elle allait s'en rendre compte.
Sauf si Pierre restait imperturbable, que l'innocence se lisait sur son visage... Comme il n'arrivait pas à avoir cet air innocent qui l'aurait sauvé à coup sûr, Pierre arbora un air légèrement interrogatif, qui semblait signifier: Quelque chose ne va pas Madame ? Puis-je m'en aller maintenant ?
Mais l'orphelin se demandait plutôt si elle allait compter les trophées, ou pire, se lever et s'approcher de lui...

Elena ne trouva rien à redire sur l'attitude et le travail du garçon, et lui donna donc la permission de s'en aller. Néanmoins, quelque chose la chiffonnait toujours. Pierre semblait trop honnête et angélique pour être sincère, mais elle ne pouvait décemment pas le fouiller. De toute manière, aucun trophée ne pouvait rentrer dans sa poche.

"Bien, tu peux partir. Semaine prochaine, même jour, même heure."

Elle fit un geste négligé avec sa baguette magique et les trophées repartirent d'où ils étaient venus. De toute façon, s'il manquait la moindre pièce, les elfes s'en rendraient compte et l'en informerait.

Code:: Désolé pour ce temps de réponse horriblement long...

Code:: ;)

Ignorant ce dernier détail, Pierre resta impassible et sortit de la pièce, ni trop vite ni trop lentement, avant de plonger la main dans sa poche pour vérifier la présence de son nouveau bien…
Aucun sort ne le lui avait enlevé, il s’était bien débrouillé, et se sourit à lui-même en se dirigeant vers les dortoirs.

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